Mode de production asiatique

Le concept de mode de production asiatique a été exposé par Karl Marx dans son ouvrage intitulé Pre-capitalist Economic Formations (1858). Il y décrit les formes par lesquelles la propriété communautaire humaine originelle (dans laquelle il n’y a pas de propriété privée de la terre) est passée à la propriété privée du sol et finalement à la séparation du producteur de la terre, en distinguant des formes romaines antiques et germaniques ultérieures une forme asiatique originelle.

La théorie

Pour Marx, la communauté elle-même représente la première grande force productive. Les conditions objectives imposaient l’unité des communautés pour des entreprises communes telles que la canalisation de l’eau, les voies de communication et d’échange, ou la guerre pour s’assurer un territoire de subsistance. Cette unité, dans la mesure où elle se perpétuait et devenait indispensable, apparaissait distincte et au-dessus des nombreuses communautés, devenant en tant que telle la véritable propriétaire de tout. L’unité suprême finit par s’incarner dans le despote (Pharaon, Empereur, Tsar, Inca, Roi, Tlatoani), grand père de nombreuses communautés, lié d’une manière ou d’une autre à la divinité. L’unité suprême systématise ensuite l’appropriation du produit excédentaire, qui prend la forme d’un tribut ou d’un travail collectif pour le despote et l’élite. Ce système économique, qui a perduré jusqu’à être contemporain de l’esclavage européen, consistait pour un peuple à payer un tribut à son souverain ou à un peuple conquérant, tribut qui était le plus souvent constitué de produits agricoles, et dans des cas plus rares, de matériaux de construction. Le travail et la responsabilité étaient collectifs. Le travail du sol se faisait sur les terres communales, puisque c’est la communauté dans son ensemble qui payait le tribut.

Recherche et débat

Ce système a atteint sa « pénétration » et son expansion par des centres souverains après des guerres et des conquêtes successives, que ce soit en Asie, dans l’Égypte ancienne, au Mexique ou au Pérou. Pour Engels, l’origine des classes peut se faire de deux manières : d’une part, le « despotisme oriental » et d’autre part, l’esclavage. Le premier, observable dans les communautés anciennes, de l’Inde à la Russie. L’absence de propriété privée de la terre est la clé pour comprendre l’histoire de l’Orient. Selon lui, « les Turcs ont été les premiers à introduire en Orient, dans les pays qu’ils ont conquis, une sorte de féodalisme agraire ».

Certains chercheurs soviétiques ont défendu, lors de débats entre 1926 et 1931, l’application du concept de mode de production asiatique à certaines sociétés. Ainsi, Vasili Struve et S. Kovalev pour l’Égypte ancienne, N. Kalemine et A. Moujardyi pour le Moyen-Orient, G. Papaian, A. Kantorovich et Eugen Varga pour la Chine, et I. Plotnikov pour l’Amérique du Sud. Struve a poursuivi le débat pendant des décennies, affirmant que cette formation s’était répandue en Asie, en Égypte, dans la civilisation égéenne et chez les Étrusques, de sorte que dans l’Orient ancien, non seulement les esclaves mais aussi les communes rurales étaient exploités par le biais du tribut. En 1965, I. Andreiev, pour le cas du Mali, et N. Ter-Akopian ont également défendu la théorie du mode de production asiatique.
John V. Murra (1955) a étudié l’organisation économique de l’État inca comme un cas développé et efficace de despotisme communal, notant non seulement la relation avec les formes asiatiques, mais aussi avec les économies et les structures de pouvoir africaines ashanti, rwandaises, dahoméennes ou yorubas et même hawaïennes. Par exemple, la découverte de la ressemblance entre le dopkwe dahoméen et le mita inca est remarquable.

Le concept de despotisme hydraulique a été créé par le théoricien allemand Karl A. Wittfogel dans son ouvrage Oriental Despotism. Selon lui, dans sa forme originelle, le gouvernement despotique contrôlait les canaux d’irrigation et s’assurait ainsi que le surplus économique était extrait des communautés.

Maurice Godelier (1966), Jean Chesneaux (1969) et Roger Bartra ont systématisé les études de cas et les théories sur le sujet, dans le cadre du concept de mode de production asiatique, que certains ont appelé despotisme communal pour l’universaliser. Hermes Tovar (1974), à partir de l’étude de la société Muisca, a développé le concept de mode de production précolombien pour certaines formations sociales indigènes américaines.

Certains chercheurs, devant l’évidence de la diversité géographique, ont proposé de remplacer le terme « asiatique » par celui de mode de production tributaire.

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