L’ordre imaginaire est l’un des trois termes de la théorie psychanalytique de Jacques Lacan, avec le symbolique et le réel. Chacun de ces trois termes est apparu progressivement et a connu une évolution au cours du développement de la pensée de Lacan. De ces trois termes, c’est l’imaginaire qui est apparu le premier, bien avant le rapport de Rome de 1953 où la notion de symbolique s’est imposée. En effet, si l’on considère son évolution intellectuelle du point de vue des années 1970, Lacan l’a résumée ainsi.
Ainsi, l’œuvre de Lacan est souvent divisée en trois périodes.
En ce qui concerne la première, Lacan considérait l’imago comme l’étude propre de la psychologie et l’identification comme le processus psychique fondamental. L’imaginaire est alors la dimension des images, conscientes ou inconscientes, perçues ou imaginées. C’est au cours de la décennie ou des deux décennies qui ont suivi sa présentation en 1936 de Le stade du miroir à Marienbad que le concept de l’imaginaire de Lacan a été le plus complètement articulé.
L’ordre imaginaire
La base de l’ordre imaginaire est la formation du moi dans le « stade du miroir ». En articulant le moi de cette manière, la catégorie de l’imaginaire fournit la base théorique d’une polémique de longue date contre la psychologie du moi de Lacan. Puisque le moi se forme en s’identifiant à la contrepartie ou à l’image du miroir, l' »identification » est un aspect important de l’imaginaire. La relation, par laquelle le moi se constitue par identification, est un lieu d' »aliénation », autre caractéristique de l’imaginaire, et est fondamentalement narcissique : ainsi Lacan écrit-il « les différentes phases de l’identification imaginaire, narcissique et spéculaire : les trois adjectifs sont équivalents » : 188 qui constituent l’histoire du moi.
Si » l’Imaginaire, le Symbolique et le Réel sont une trinité impie dont les membres pourraient facilement s’appeler Fraude, Absence et Impossibilité « , alors l’Imaginaire, royaume des apparences superficielles et intrinsèquement trompeuses, est » Fraude « .
Le corps fragmenté
Pour Lacan, le moteur de la création du moi en tant qu’image miroir était l’expérience antérieure du fantasme du corps morcelé. Lacan n’était pas kleinien, bien qu’il ait été le premier en France à déchiffrer et à louer son travail, mais le fantasme menaçant et régressif du « corps en morceaux » est explicitement lié par Lacan à la position paranoïaque de Melanie Klein. Le fantasme spécifique de Klein selon lequel quelque chose dans la personne cherche à la déchirer et à la tuer par le démembrement a alimenté pour Lacan la succession de fantasmes allant d’une image corporelle fragmentée à la prise en charge de l’armature d’une identité aliénante pour le moi en tant qu’autre identification, en tant que « fraude ».
Le Symbolique
Avec l’importance croissante du symbolique dans la pensée de Lacan après 1953, l’imaginaire est vu sous un jour assez différent, comme structuré par l’ordre symbolique. Le corps en morceaux trouve toujours son unité dans l’image de l’autre ou dans son propre miroir, mais l’analyse ne consiste plus en la réalisation imaginaire du sujet pour en faire un sujet bien rond, ce moi, car il a définitivement intégré tous ses états fragmentaires disjoints, ses membres épars, ses phases prégénitales, ses pulsions partielles. On trouve plutôt un guide au-delà de l’imaginaire, au niveau du plan symbolique.
Il est également apparu que l’imaginaire implique une dimension linguistique : si le signifiant est à la base du symbolique, le « sens » et la « signification » appartiennent à l’imaginaire. Ainsi, le langage a des aspects symboliques et imaginaires : les mots eux-mêmes peuvent subir des lésions symboliques et accomplir des actes imaginaires dont le patient est le sujet. La parole peut ainsi devenir un objet imaginaire, voire réel.
Pour le Lacan des années 50, toute l’expérience analytique se déploie à la jonction de l’imaginaire et du symbolique, ce dernier étant la clé centrale de la croissance : il s’agit, dans l’analyse des névrosés, d’éliminer les interférences dans les relations symboliques créées par les relations imaginaires en dissipant les identifications imaginaires. L’imaginaire est le problème, le symbolique la réponse, de sorte que tout un pan de l’expérience analytique n’est rien d’autre que l’exploration des impasses de l’expérience imaginaire. C’est donc dans la désintégration de l’unité imaginaire constituée par le moi que le sujet trouve le matériel signifiant de ses symptômes, la crise d’identité quand le système du faux moi se désintègre.
Stade avancé
De même que la prédominance précoce de l’imaginaire s’est éclipsée après le rapport de Rome, de même, à la fin des années 1960, le symbolique sera éclipsé par le réel, car à partir de ce moment, Lacan minimise le complexe d’Œdipe, considéré comme une version mythique de l’organisation inconsciente.
Cependant, Lacan pouvait encore affirmer que :
« …le but de mon enseignement… est de dissocier… ce qui relève de l’imaginaire et… ce qui relève du symbolique ».
Dans les nœuds borroméens, il estimait avoir trouvé une contrepartie topologique possible aux interconnexions de l’imaginaire, du symbolique et du réel. Le séminaire de Lacan n’était parfois qu’une démonstration silencieuse des propriétés des nœuds entrelacés qui illustraient l’entrelacement du réel, du symbolique et de l’imaginaire.
Culture française
L’emploi de l’adjectif imaginaire comme substantif remonte à l’œuvre du romancier André Gide et a probablement donné à L’Imaginaire de Sartre sa plus grande importance » Chez Lacan, l’Imaginaire a failli être une machine interprétative colonisatrice omnivore : ainsi, René Girard déplorait que « pour le lacanien, ce que j’appelle mimétique doit correspondre à […]. capturé par l’imaginaire ».
Avec les tendances post-lacaniennes qui divisent ses « écoles », le terme peut peut-être revenir dans la culture dominante, comme lorsque le philosophe Gilles Deleuze (1972) définit l’imaginaire par les jeux de réflexion, de duplication, d’identification en miroir et de projection, toujours sur le mode du double, ou lorsque Cornelius Castoriadis définit l’imaginaire comme la capacité qu’ont les humains de créer d’autres formes d’existence individuelle et sociale.
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